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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/47

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DANS LA MAISON

servir sa foi ? Il y a des milliers de gens comme moi, et plus méritants que moi, plus pieux, plus humbles, qui, jusqu’au jour de leur mort, servent sans défaillance un idéal, un Dieu, qui ne leur répond pas. Tu ne connais pas le menu peuple économe, méthodique, laborieux, tranquille, avec au fond du cœur une flamme qui sommeille, — ce peuple sacrifié, qu’a défendu jadis contre l’égoïsme des grands mon « pays », le vieux Vauban aux yeux bleus. Tu ne connais pas le peuple, tu ne connais pas l’élite. As-tu lu un seul des livres qui sont nos amis fidèles, les compagnons qui nous soutiennent ? Sais-tu seulement l’existence de nos jeunes revues, où se dépense une telle somme de dévouement et de foi ? Te doutes-tu des personnalités morales qui sont notre soleil et dont le muet rayonnement fait peur à l’armée des hypocrites ? Ils n’osent pas lutter de front ; ils s’inclinent devant elles, afin de mieux les trahir. L’hypocrite est un esclave, et qui dit esclave dit maître. Tu ne connais que les esclaves, tu ne connais pas les maîtres… Tu as regardé nos luttes, et tu les as traitées d’incohérence brutale, parce que tu n’en as pas compris le sens. Tu vois les ombres et les reflets du jour, tu ne vois pas le jour intérieur, notre âme séculaire. As-tu jamais cherché à la connaître ? As-tu jamais entrevu notre action héroïque, des Croisades à la Commune ? As-tu jamais pénétré le tragique de l’esprit français ? T’es-tu jamais penché sur l’abîme