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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

— Pense donc, disait-il, risquer de mourir là-bas, sur une terre qui ne vous connaît pas, loin de ceux qu’on aime ! Tout vaut mieux que cette horreur. Et puis, pour quelques années qu’on a à vivre, cela ne vaut pas la peine de tant s’agiter !…

— Comme s’il fallait penser toujours à mourir ! disait Christophe, en haussant les épaules. Et même si cela arrive, est-ce que ce n’est pas mieux de mourir en luttant pour le bonheur de ceux qu’on aime, que de s’éteindre dans l’apathie ?


Sur le même palier, dans le petit appartement du quatrième étage, logeait un ouvrier électricien, nommé Aubert. — Si celui-là vivait isolé du reste de la maison, ce n’était point tout à fait sa faute. Cet homme, sorti du peuple, avait un désir passionné de n’y plus jamais rentrer. Petit, l’air souffreteux, il avait le front dur, une barre au-dessus des yeux, dont le regard vif et droit s’enfonçait comme une vrille ; la moustache blonde, la bouche persifleuse, une façon de parler sifflotante, la voix voilée, un foulard autour du cou, la gorge toujours malade, irritée encore par sa manie perpétuelle de fumer, une activité fébrile, un tempérament de phtisique. Il était un mélange de fatuité, d’ironie, d’amertume, qui recouvraient un esprit enthousiaste, emphatique, naïf, mais constamment déçu par la vie. Bâtard de quelque bourgeois qu’il n’avait jamais connu, élevé par