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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Le grand appartement du second étage restait presque toujours vide. Le propriétaire de la maison se l’était réservé ; et il n’était jamais là. C’était un ancien commerçant, qui avait arrêté net ses affaires, aussitôt qu’il avait atteint un certain chiffre de fortune, qu’il s’était fixé. Il passait la majeure partie de l’année, hors de Paris : l’hiver, dans quelque hôtel de la Côte d’Azur ; l’été, sur quelque plage de Normandie, vivant en petit rentier, qui se donne à peu de frais l’illusion du luxe, en regardant le luxe des autres, et en menant, comme eux, une vie inutile.


Le petit appartement était loué à un couple sans enfants : M. et Mme Arnaud. Le mari, qui avait quarante à quarante-cinq ans, était professeur dans un lycée. Accablé d’heures de cours, de copies, de répétitions, il n’avait jamais pu arriver à écrire sa thèse ; il avait fini par y renoncer. La femme, de dix ans plus jeune, était gentille, excessivement timide. Intelligents tous deux, instruits, s’aimant bien, ils ne connaissaient personne, et ne sortaient jamais de chez eux. Le mari n’avait pas le temps. La femme avait trop de temps ; mais c’était une brave petite, qui combattait ses accès de mélancolie, quand elle en avait, et qui surtout les cachait, s’occupant du mieux qu’elle pouvait, tâchant de s’instruire, prenant des notes pour son mari, recopiant les notes de son mari, raccommodant les habits