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LES AMIES

Dans le même temps, il lui venait d’autres amis inconnus, que commençait de lui attirer la lecture de ses œuvres. La plupart vivaient loin de Paris, ou à l’écart, dans leurs maisons, et ne le rencontreraient jamais. Le succès, même grossier, a quelque chose de bon : il fait connaître l’artiste de milliers de braves gens, éloignés, qu’il n’eût jamais atteints sans les stupides articles des journaux. Christophe entra en relations avec quelques-uns d’entre eux. C’étaient des jeunes gens isolés, menant une vie difficile, aspirant de tout leur être à un idéal dont ils n’étaient pas sûrs, et qui buvaient avidement l’âme fraternelle de Christophe. C’étaient de petites gens de province, qui, après avoir lu ses lieder lui écrivaient, comme le vieux Schulz, se sentaient unis à lui. C’étaient des artistes pauvres, — un compositeur, entre autres, — qui n’étaient pas arrivés, qui ne pouvaient arriver, non seulement au succès, mais à s’exprimer eux-mêmes, et qui étaient tout heureux que leur pensée se réalisât par Christophe. Et les plus chers de tous peut-être, — ceux qui lui écrivaient sans dire leur nom, et, plus libres ainsi de parler, épanchaient naïvement leur touchante confiance dans le frère aîné, qui leur venait en aide. Christophe avait gros cœur de