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LES AMIES

nobles pensers et labeurs en commun. Et cela fut très bien, tant que l’amour les illumina : car elle ne songeait qu’à lui, et non à ce qu’elle faisait. Le plus curieux, c’était que tout ce qu’elle faisait ainsi était bien fait. Son esprit se jouait sans effort dans des lectures abstraites qu’elle eût eu peine à suivre, à d’autres moments de sa vie ; son être était comme soulevé au-dessus de terre par l’amour ; elle ne s’en apercevait pas : telle une somnambule qui marche sur les toits, elle poursuivait tranquillement, sans rien voir, son rêve grave et riant…

Et puis, elle commença de voir les toits ; et cela ne l’inquiéta point ; mais elle se demanda ce qu’elle faisait dessus, et elle rentra chez elle. Le travail l’ennuya. Elle se persuada que son amour en était gêné. Sans doute parce que son amour était déjà moins vif. Mais il n’en paraissait rien. Ils ne pouvaient plus se passer un instant l’un de l’autre. Ils se murèrent au monde, ils condamnèrent leur porte, ils n’acceptèrent plus aucune invitation. Ils étaient jaloux de l’affection des autres, de leurs occupations même, de tout ce qui les distrayait de leur amour. La correspondance avec Christophe s’espaça. Jacqueline ne l’aimait pas : il était un rival pour