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LA FIN DU VOYAGE

tions communes chez les peuples de l’Europe d’aujourd’hui. L’Europe d’aujourd’hui n’avait plus un livre commun : pas un poème, pas une prière, pas un acte de foi qui fût le bien de tous. Ô honte qui devrait écraser tous les écrivains, tous les artistes, tous les penseurs d’aujourd’hui ! Pas un n’a écrit, pas un n’a pensé pour tous. Le seul Beethoven a laissé quelques pages d’un nouvel Évangile consolateur et fraternel ; mais les musiciens seuls peuvent le lire, et la plupart des hommes ne l’entendront jamais. Wagner a bien tenté d’élever sur la colline de Bayreuth un art religieux, qui relie tous les hommes. Mais sa grande âme était trop peu simple et trop marquée de toutes les tares de la musique et de la pensée décadentes de son temps : sur la colline sacrée, ce ne sont pas les pêcheurs de Galilée qui sont venus, ce sont les pharisiens.

Christophe sentait bien ce qu’il fallait faire ; mais il lui manquait un poète, il devait se suffire à lui-même, se restreindre à la seule musique. Et la musique, quoi qu’on dise, n’est pas une langue universelle : il faut l’arc des mots pour faire pénétrer la flèche des sons dans le cœur de tous.

Christophe projetait d’écrire une suite de