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LA FIN DU VOYAGE

gué, Christophe, fatigué. Je voudrais dormir.

— Eh bien, dors, mon petit. Je te veillerai.

Mais c’était ce qu’Olivier pouvait le moins. Ah ! si celui qui souffre pouvait dormir des mois, jusqu’à ce que sa peine s’efface de son être renouvelé, jusqu’à ce qu’il soit un autre ! Mais nul ne peut lui faire ce don ; et il n’en voudrait pas. La pire souffrance lui serait d’être privé de sa souffrance. Olivier était comme un fiévreux, qui se nourrit de sa fièvre. Une véritable fièvre, dont les accès reparaissaient, aux mêmes heures, surtout le soir, à partir du moment où la lumière tombe. Et le reste du temps, elle le laissait brisé, intoxiqué par l’amour, rongé par le souvenir, ressassant la même pensée, pareil à un idiot qui remâche la même bouchée sans pouvoir l’avaler, toutes les forces du cerveau paralysées, pompées par la seule idée fixe.

Il n’avait pas la ressource, comme Christophe, de maudire son mal, en calomniant de bonne foi celle qui en était cause. Plus clairvoyant et plus juste, il savait qu’il y avait sa part de responsabilité et qu’il n’était pas le seul à en souffrir : Jacqueline aussi était victime ; — elle était sa victime. Elle s’était con-