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LES AMIES

de moi… Mais toi, tu es fort, tu n’as besoin de personne, tu peux te passer de moi.

— Elle s’en passe encore mieux.

— Tu es cruel, Christophe.

— Mon cher petit, je te brutalise ; mais c’est pour que tu te révoltes. Que diable ! c’est honteux, de sacrifier ceux qui t’aiment, et ta vie, à quelqu’un qui se moque de toi.

— Que m’importent ceux qui m’aiment ? C’est elle que j’aime.

— Travaille. Ce qui t’intéressait autrefois…

— … ne m’intéresse plus. Je suis las. Il me semble que je suis sorti de la vie. Tout m’apparaît loin, loin… Je vois, mais je ne comprends plus… Penser qu’il y a des hommes qui ne se lassent point de recommencer, chaque jour, leur mécanisme d’horloge, leur tâche insipide, leurs discussions de journaux, leur pauvre chasse au plaisir, des hommes qui se passionnent pour ou contre un ministère, un livre, une cabotine… Ah ! que je me sens vieux ! Je n’ai ni haine, ni rancune, contre qui que ce soit : tout m’ennuie. Je sens qu’il n’y a rien… Écrire ? Pourquoi écrire ? Qui vous comprend ? Je n’écrivais que pour un être ; tout ce que j’étais, je l’étais pour lui… Il n’y a rien. Je suis fati-