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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/29

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LES AMIES

Il parlait familièrement de son vieil ami Christophe, dont il avait guidé les premiers pas à Paris : certainement, c’était un musicien bien doué, mais — (il pouvait bien le dire, puisqu’ils étaient amis), — plein de lacunes, insuffisamment instruit, sans originalité, d’un orgueil extravagant : c’était lui rendre le plus mauvais service que flatter cet orgueil, d’une façon ridicule, alors qu’il eût eu besoin d’un Mentor avisé, savant, judicieux, bienveillant et sévère, etc. — : (tout le portrait de Goujart). — Les musiciens riaient jaune. Ils affectaient un mépris écrasant pour un artiste qui jouissait de l’appui des journaux ; et, jouant le dégoût du vulgum pecus, ils refusaient les présents d’Artaxerxès, qui ne les leur offrait point. Les uns flétrissaient Christophe ; les autres l’accablaient sous le poids de leur commisération. Certains s’en prenaient à Olivier — (c’étaient de ses confrères). — Ils étaient bien aises de se venger de son intransigeance et de la façon dont il les tenait à l’écart, — plus, à vrai dire, par goût de la solitude, que par dédain pour qui que ce fût. Mais ce que les hommes pardonnent le moins, c’est qu’on puisse se passer d’eux. — Quelques-uns n’étaient pas loin de laisser entendre qu’il trouvait son profit personnel aux articles du