Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

46
LA FIN DU VOYAGE

Jacqueline boudait un peu. Mais cela ne durait pas longtemps. Le bon rire de Marthe la désarmait. Elle l’embrassait, en feignant d’être fâchée. Au fond, on ne laisse pas, à cet âge, d’être secrètement flatté des présages mélancoliques pour plus tard, beaucoup plus tard. De loin, le malheur s’auréole de poésie ; et l’on ne craint rien tant que la médiocrité de la vie.

Jacqueline ne s’apercevait point que le visage de la tante devenait toujours plus blême. Elle remarquait bien que Marthe sortait de moins en moins ; mais elle l’attribuait à sa manie casanière, dont elle se moquait souvent. Une ou deux fois, en venant faire visite, elle avait croisé le médecin qui sortait. Elle avait demandé à la tante :

— Est-ce que tu es malade ?

Marthe répondait :

— Ce n’est rien.

Mais voici qu’elle cessait même de venir au dîner hebdomadaire chez les Langeais. Jacqueline, indignée, alla lui en faire des reproches amers.

— Ma chérie, disait doucement Marthe, je suis un peu fatiguée.

Mais Jacqueline ne voulait rien entendre. Mauvais prétexte que tout cela !