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106 L’AME ENCHANTEE

surtout qu’elle ne laissât point l’autre le lui arracher… (« L’autre », voilà ce que, pour Annette, Sylvie était devenue !…)

Elle ne reposa point une heure, cette nuit. Ses draps lui brûlaient la peau. — De l’autre lit voisin, s’élevait le bourdonnement léger du sommeil de l’innocence.

Quand elles se retrouvèrent face à face, le matin, Sylvie, du premier coup d’œil, vit que tout était changé ; et elle ne comprit pas ce qui s’était passé. Annette, les yeux cernés, pâle, dure, hautaine, mais étrangement plus belle, — (et plus belle et plus laide, comme si, à un appel, toutes ses forces secrètes se fussent soudain levées) — Annette, casquée d’orgueil, froide, hostile, murée, regardait, écoutait Sylvie qui disait ses folies ainsi qu’à l’ordinaire, fit à peine bonjour, et sortit de la chambre… Le babil de Sylvie s’arrêta au milieu d’un mot. Elle sortit à son tour, suivit des yeux Annette descendant l’escalier…

Elle comprit. Annette avait vu Tullio, qui était assis dans le hall, et, traversant la pièce, elle alla droit à lui. Lui aussi reconnut que la situation avait changé. Elle s’assit près de lui. Ils causaient de sujets banals. La tête droite, dédaigneuse, elle regardait devant elle, évitant de le fixer. Mais il n’avait point de doute : c’était lui qu’elle fixait. Sous ses paupières