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ANNETTE ET SYLVIE 107

bleuâtres, ce regard qui se cachait, comme pour fuir la lumière trop intense, disait :

— Me veux-tu ?

Et lui qui, d’un ton satisfait, racontait une histoire insipide, en contemplant ses ongles, il guettait de côté, ainsi qu’un grand félin, ce corps aux seins raidis, et demandait :

— Tu veux donc aussi ?

— Je veux que tu me veuilles, — telle était la réponse.

Sylvie n’hésita point. Faisant le tour du hall, elle vint et prit une chaise entre Annette et Tullio. L’irritation d’Annette se trahit d’un regard, — d’un seul : c’était assez, Sylvie en reçut le mépris, à bout portant. Elle en battit des cils, et feignit de ne pas voir ; mais elle se hérissa comme une chatte sur qui vient de passer une décharge électrique ; elle sourit, et se tint prête à mordre. Le duel à trois, doucereux, s’engagea. Annette, semblant ignorer la présence de Sylvie, sans tenir compte de ce qu’elle disait, parlait par-dessus sa tête à Tullio, gêné : ou, forcée de l’entendre, — car l’autre avait bon bec — soulignait, d’un sourire ou d’un mot ironique, une de ces menues erreurs de langage qui émaillaient encore les discours de Sylvie : (car malgré son adresse, la petite commère n’avait pas réussi à les extirper tout à fait de son jardin). Mortellement blessée, Sylvie