Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

112 L’AME ENCHANTÉE

devaient éviter. Elles s’arrangeaient de façon à entrer, à sortir à des moments différents, à ne plus se parler, à feindre de ne pas se voir, — ou, comme c’était tout de même impossible, — à se dire froidement : « bonjour », « bonsoir », comme si de rien n’était. Le plus loyal, le plus sensé eût été de s’expliquer. Mais elles ne le voulaient pas. Elles ne le pouvaient pas. Quand la passion est lâchée dans une femme, il ne s’agit plus de loyauté ; et de bon sens, moins encore.

La passion chez Annette était devenue un poison. Un baiser que Tullio, profitant de son pouvoir, avait violemment, un soir, au détour d’une allée, imprimé sur la bouche de l’orgueilleuse fille, qui ne s’était pas défendue, avait déchaîné en elle un torrent sensuel. Avec humiliation et rage, elle luttait contre. Mais elle savait d’autant moins résister que c’était la première fois que le flot l’envahissait. Malheur aux cœurs trop défendus ! Quand la passion fait son entrée, le plus chaste est le plus livré…


Une nuit, dans une de ces insomnies fiévreuses qui la consumaient, Annette glissa dans le sommeil, tout en croyant qu’elle restait éveillée. Elle se voyait couchée dans son lit, les yeux ouverts ; mais elle ne pouvait bouger, elle avait les membres liés. Elle savait que