Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/192

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n’étaient point choquants : sa bonne grâce, sa jeunesse les faisait oublier. Il était plein de talent : tout lui était facile, mais surtout la parole. L’éloquence était un des fiefs de la famille. Elle comptait déjà un maître du barreau ; et tous avaient, de naissance, le goût du bien dire. Il eût été injuste de prétendre, que, comme ces paroliers du Midi, ils eussent besoin de parler pour penser. Mais ils avaient besoin de parler : c’était incontestable. Leurs facultés réelles s’épanouissaient en phrases ; le silence les eût atrophiées. Le père de Roger, qui avait été un des plus illustres bavards dont se fût honorée la tribune de la Chambre, et à qui ses électeurs avaient joué le mauvais tour de ne pas le renommer, étouffait de son éloquence rentrée ; et Roger, alors âgé de six ans, lui disait naïvement, quand ils étaient tous deux seuls, au foyer :

— Papa, fais-moi un discours !

Il en faisait à présent, pour son compte. Sa jeune réputation avait été brillamment établie, d’emblée, dans les conférences d’avocats, au Palais. Comme tous les Brissot, il avait orienté ses dons vers la politique. Les meetings de l’Affaire Dreyfus lui furent un tremplin excellent ; il se jeta dans l’arène, il y discourut à toute volée. La fougue juvénile, la bravoure, la parole débordante et choisie de ce beau garçon