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ANNETTE ET SYLVIE 193

Quelque plaisir qu’ils prissent à mettre en commun le passé, le présent, — le présent, le passé se noyaient dans le rêve de l’avenir, — de leur avenir : car bien qu’Annette n’eût rien dit, rien promis, son adhésion était si bien supposée, escomptée, exigée qu’Annette finissait par croire elle-même qu’elle l’avait donnée. Les yeux mi-clos, heureux, elle écoutait donc Roger — (il était de ceux qui jouissent de demain toujours plus que d’aujourd’hui) — exposer avec un enthousiasme inlassable la vie magnifique de pensée et d’action qui lui était réservée… À qui, lui ? À Roger. À elle aussi, bien entendu, puisqu’elle faisait partie de Roger. Elle n’était pas choquée de cette absorption : elle était trop occupée à entendre, à voir, à boire ce merveilleux Roger. Il parlait beaucoup de socialisme, de justice, d’amour, d’humanité délivrée. Il était véritablement splendide. En parole, sa générosité ne connaissait pas de bornes. Annette était émue. C’était enivrant de se dire qu’elle pourrait être associée à cette œuvre de puissante bonté. Roger ne lui demandait jamais ce qu’elle en pensait. Il était sous-entendu qu’elle pensait comme lui. Elle ne pouvait pas penser autrement. Il parlait pour elle. Il parlait pour les deux, parce qu’il parlait mieux. Il disait :

— Nous ferons… Nous aurons…