Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/204

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riz sur les joues, et un trait de rouge aux lèvres. Elle visait à l’idéal de pastel Louis XV. Elle eût fait pour Nattier une Phœbé de Bourgogne, mignarde, chlorotique, et charnue. Sa mère appelait cette robuste fille : « ma pauvre petite mignonne » ; car Mademoiselle Brissot, qui se portait comme un charme, avait conçu l’idée, en mirant sa pâleur, qu’elle devait être de santé délicate. Mais elle ne l’exploitait pas, en se faisant dorloter. Elle en usait pour mieux montrer son énergie et se donner le droit de dédaigner les créatures plus molles de son sexe, qui gémissaient de leurs petits bobos. De vrai, elle était admirable, active, infatigable, Usant tout, voyant tout, sachant tout, faisant de la peinture, se connaissant en musique, parlant de littérature, accomplissant, chaque jour, avec Madame Brissot, le programme des deux cents ou trois cents visites qu’elles devaient exécuter en un temps donné, les recevant, en retour, et donnant des dîners, suivant les concerts, les théâtres, les séances de la Chambre et les expositions, sans fléchir, sans trahir la fatigue, que par quelque soupir virilement étouffé, à des moments choisis, — d’ailleurs, sachant nourrir le corps qu’elle matait, mangeant solidement, (comme toute la famille), et dormant sa pleine nuit, sans un rêve. Elle n’était pas moins maîtresse de son cœur que de son corps.