Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/23

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se gardait d’en rien montrer qui pût effaroucher les clients, — qui avait son musée secret (fas ac nefas), mais qui ne l’entr’ouvrait qu’à de très rares initiés, — qui se foutait du goût et de la morale publics, tout en y conformant sa vie apparente et ses travaux officiels. Nul ne le connaissait, ni parmi ses amis, ni parmi ses ennemis… Ses ennemis ? Il n’en avait point. Des rivaux, tout au plus, à qui il en avait cuit de se mettre sur son chemin ; mais ils ne lui en voulaient pas : après les avoir roulés, il avait eu si bien l’art de les enjôler que, comme ces timides sur le pied desquels on marche, ils eussent été près de sourire et de s’excuser. Le rude et matois avait réussi le tour de force de rester en bons termes avec les concurrents qu’il supplantait, et les conquêtes qu’il délaissait.

Il avait été un peu moins heureux en ménage. Sa femme eut le mauvais goût de souffrir de ses infidélités. Quoique, depuis vingt-cinq ans qu’ils étaient mariés, elle aurait eu largement, pensait-il, le temps de s’habituer, jamais elle n’en prit son parti. D’une honnêteté morose, de manières un peu froides comme l’était sa beauté de Lyonnaise, ayant des sentiments forts, mais concentrés, elle n’était aucunement adroite à le retenir ; et elle avait encore moins le talent, si pratique, de paraître ignorer ce