Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/24

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qu’elle ne pouvait empêcher. Trop digne pour se plaindre, elle ne put cependant se résigner à ne pas lui montrer qu’elle savait et souffrait. Comme il était sensible, — (du moins, il le croyait), — il évitait d’y penser ; mais il lui gardait rancune de ne pas savoir mieux voiler son égoïsme. Depuis des années, ils vivaient à peu près séparés ; mais, d’un tacite accord, ils le cachaient aux yeux du monde ; et même leur fille Annette ne se rendit jamais compte de la situation. Elle n’avait pas cherché à approfondir la mésintelligence de ses parents ; ce lui était désagréable. L’adolescence a bien assez de ses propres préoccupations. Tant pis pour celles des autres !…

La suprême habileté de Raoul Rivière fut de mettre sa fille de son parti. Bien entendu, il ne fit rien pour cela : c’est le triomphe de l’art. Pas un mot de reproche, pas une allusion aux torts de madame Rivière. Il était chevaleresque ; il laissait à sa fille le soin de les découvrir. Elle n’y avait pas manqué : car elle était, elle aussi, sous le charme de son père. Et le moyen de ne pas donner tort à celle qui, étant sa femme, avait la maladresse de se gâter ce bonheur ! Dans cette lutte inégale, la pauvre madame Rivière était vaincue d’avance. Elle acheva sa défaite, en mourant la première. Raoul resta seul maître du terrain, — et du cœur de sa fille. Pendant les