Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/40

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Elle reprit de nouveau les lettres exécrées ; et cette fois, elle ne les lâcha plus qu’elle n’en eût extrait jusqu’à la dernière ligne. Elle lisait, en soufflant des narines, bouche fermée, brûlée d’un feu caché de jalousie, — et d’un autre sentiment, obscur, qui s’allumait. Pas une seconde, l’idée ne lui vint, en pénétrant l’intimité de cette correspondance, en s’emparant des secrets de son père, qu’elle pouvait commettre un délit de conscience. Pas une seconde, elle ne douta de son droit… (Son droit ! L’esprit de raison était loin. Une bien autre puissance, despotique, parlait !)… Au contraire, c’était elle qui s’estimait lésée dans son droit — dans son droit — par son père !

Elle se ressaisit pourtant. Elle entrevit, un instant, l’énormité de cette prétention. Elle haussa les épaules. Quels droits avait-elle sur lui ? Que lui devait il ? — L’impérieux grondement de la passion dit : « Tout. » Inutile de discuter ! Annette, abandonnée à l’absurde dépit, souffrait de la morsure, et goûtait en même temps une amère jouissance de ces forces cruelles qui, pour la première fois, enfonçaient dans sa chair leur cuisant aiguillon.

Une partie de la nuit passa à sa lecture. Et lorsqu’elle consentit enfin à se coucher, sous ses paupières baissées elle relut longtemps des