Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/41

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lignes et des mots, qui la faisaient tressauter, jusqu’à ce que le fort sommeil de la jeunesse la domptât, sans mouvement, étendue, respirant largement, très calme, soulagée par la dépense même qui s’était faite en elle.

Elle relut, le lendemain ; bien des fois, elle relut, dans les jours qui suivirent, les lettres qui ne cessaient d’occuper sa pensée. Maintenant, elle pouvait à peu près reconstituer cette vie — cette double vie, qui s’était déroulée, parallèle à la sienne : — la mère, une fleuriste, à qui Raoul avait fourni les fonds pour ouvrir un magasin ; la fille, qui était dans les modes, ou bien dans la couture (on ne savait pas très bien). L’une se nommait Delphine, et l’autre (la jeune) Sylvie. À en juger par le style fantasque, négligé, mais dont le déshabillé ne manquait pas de charme, elles se ressemblaient. Delphine paraissait avoir été une aimable personne, qui, malgré de petites roueries tendues çà et là dans ses lettres, ne devait pas avoir fatigué beaucoup Rivière de ses exigences. Ni la mère, ni la fille ne prenaient la vie au tragique. Au reste, elles semblaient sûres de l’affection de Raoul. C’était peut-être le meilleur moyen pour la conserver. Mais cette impertinente assurance ne froissait pas moins Annette que l’extrême familiarité de leur ton avec lui.