Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/48

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Qu’elles étaient différentes ! Et pourtant, toutes deux avaient, du premier regard, reconnu le regard, les yeux clairs, le front, le pli du coin des lèvres, — le père…

Annette, intimidée, raidie, prit son courage et dit, d’une voix blanche, que glaçait l’excès d’émotion, qui elle était, son nom. Sylvie la laissa parler, sans cesser de la fixer, puis dit tranquillement, avec le sourire un peu cruel de sa lèvre retroussée :

— Je le savais.

Annette tressaillit.

— Comment ?

— Je vous ai vue déjà — souvent — avec le père…

Elle avait eu, avant les derniers mots, une hésitation imperceptible. Peut-être, malignement, elle allait dire : « mon père ». Mais elle eut ironique pitié du regard d’Annette, qui lisait sur ses lèvres. Annette comprit, détourna les yeux, rougit, humiliée.

Sylvie n’en perdit rien ; elle se délecta lentement de cette rougeur. Elle continuait de parler, sans hâte, posément. Elle racontait qu’à la cérémonie mortuaire, elle était à l’église, dans un des bas-côtés, et qu’elle avait tout vu. Sa voix qui chantonnait, en nasillant un peu, dévidait son récit, sans montrer d’émotion. Mais si elle savait voir, Annette savait entendre.