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58 L’AME ENCHANTÉE

qui n’avaient pas encore eu l’occasion de se quereller, il ne manquait pas de forces puritaines. Pourtant ce n’étaient pas les scrupules religieux qui la gênaient. Élevée par un père sceptique, une mère libre-penseuse, en dehors de toute Église, elle s’était habituée à discuter de tout. Elle n’avait peur de soumettre aucun préjugé social à l’esprit d’examen. Elle admettait l’amour libre ; en théorie, elle l’admettait très bien. Souvent, dans ses entretiens avec son père ou avec ses camarades d’études, elle en avait soutenu les droits ; à ces revendications ne se mêlait pas trop le désir juvénile de paraître « avancée » : elle trouvait sincèrement légitime, naturelle, et même raisonnable la liberté en amour. Jamais elle n’eût songé à blâmer les jolies filles de Paris, qui vivent comme il leur plaît ; elle les voyait avec sympathie, certes plus que les femmes de son monde bourgeois…. Eh bien, qu’avait-elle donc maintenant qui la peinait ? Sylvie usait de son droit… Son droit ? Non, pas son droit ! Les autres, mais non pas elle !… On permet davantage à ceux qu’on met moins haut. Pour sa sœur, comme pour elle, Annette avait, justes ou non, — oui, justes ! — de plus strictes exigences. L’amour unique lui semblait une aristocratie du cœur. Sylvie avait déchu, Annette lui en voulait !… « l’amour unique ? L’amour de toi !… Jalouse,