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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/268

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l’une pour l’autre » ; et de ce côté, ils eurent le plaisir de voir qu’ils ne s’étaient pas trompés.

Noémi Villard était une délicieuse créole, os menus, chair dodue et dorée de pigeon rôti, des yeux de biche, un nez fin, des joues maigres, avec une gueulette qui avançait pour happer ; de jeunes seins ronds et purs, montrés généreusement, les bras frêles, la taille mince, le pied petit, les membres délicats. Elle jouait la femme-enfant, avec des emballements, des langueurs, des élans, des rires et des larmes et des mois zézayants. Elle paraissait une créature fragile, expansive, sensible, pas très intelligente. Elle était tout le contraire. Cérébrale et sensuelle, sèche et passionnée, observant tout, calculant tout, inlassable, incassable, fragile, oui, comme un osier qui plie et — bing ! — qui cingle, faite à chaux et à sable sous le friable émail : (elle seule eût pu dire ce que coûte d’énergie ce délicat vernis). — Quant à l’intelligence, elle aurait pu en revendre ; elle en avait en banque ; mais elle ne l’utilisait qu’au seul objet qui l’intéressât : son mari, qu’elle possédait jalousement. Ç’avait été, des deux parts, un mariage de passion de la tête et des sens, — volupté, vanité. — La décision de Noémi avait de beaucoup devancé le choix de Philippe, et même son attention. Cet homme qui, à l’exemple d’illustres confrères parisiens, menait avec une égale fougue son écrasante activité professionnelle et une vie mondaine sans arrêt, avait trouvé le temps de « faire », comme on dit, de nombreuses passions. Sa réputation victorieuse n’avait pas été pour peu dans le fol amour et le désir décidé que conçut Noémi de le prendre, mais pour elle seule, et de le garder. Philippe ne se souciait pas de l’intelligence chez les femmes. Il les voulait bien faites, bien portantes, élégantes, et sottes. Il affectait de dire qu’une femme n’est jamais assez sotte. Noémi ne l’était point ; mais qu’à cela ne tînt ! Une femme qui veut un homme se fait, devant son miroir