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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/269

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l’esprit comme les yeux qu’il veut. Elle grisa Philippe de sa jeune chair et de son idolâtrie. Elle l’absorba goulûment.

Mais ce n’est pas une sinécure que la carrière d’amante. Il y faut dépenser une espèce de génie. Et jamais de repos ! Philippe, après une longue période de mutuelle servitude amoureuse, commençait à se lasser. Noémi, merveilleusement prompte à saisir dans le cœur de son mari-amant les moindres indices d’une saute de vent, ne dormait que d’un œil ; sans que Philippe y prît garde, toujours en éveil jaloux, elle savait d’un coup de patte détourner le danger et, par l’appât des sens et son esprit rusé, reprendre au piège l’homme prêt à lui échapper. C’était un jeu d’abord. Ce ne le fut pas longtemps. Encore plus que Philippe, il fallait se surveiller, soi, être toujours attentive, toujours prête à parer aux dégâts imprévus des minutes perfides, aux dégâts infaillibles des jours et des années. Noémi n’avait plus toute sa prime fraîcheur ; le teint était brouillé ; la finesse du visage devenait sécheresse, la gorge s’empâtait, et les pures attaches du cou étaient menacées. L’art volait au secours du chef-d’œuvre en danger, et même y ajoutait quelques charmes de plus. Mais quelle tension, toujours ! Le moindre instant d’abandon eût livré le secret à l’œil aigu du maître, qui n’eût plus oublié. Ne jamais se laisser surprendre, au dépourvu !… Quelle tragédie, un matin qu’une des petites incisives du haut s’était brisée ! Noémi était restée, la moitié du jour, invisible, disparue, chez le dentiste, — sans qu’en la voyant, au retour, exhiber son sourire impeccable, Philippe eût d’autres soupçons que ceux de la jalousie… (Mais cela, c’est moins terrible qu’une dent cassée !…) — Il fallait jouer serré. Philippe n’était pas un de ces maris qu’on pût aisément tromper sur la marchandise. Il était du métier. Noémi avait toujours un petit battement de cœur, quand il posait sur elle un de ces regards « Rayons X » (ainsi