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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/271

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voler son mari. Elle la voyait petite, comme elle, plutôt brune, sûrement jolie, fine, coquette, sachant tirer parti de ses avantages. Philippe professait l’opinion humoristique que la femme, étant exclusivement faite pour l’usage de l’homme, devait, dans la vie moderne, être un bibelot d’appartement extrêmement soigné, mais facile à manier, qui, sans tenir trop de place, meublât agréablement le salon et la chambre à coucher. Il n’aimait pas les grandes femmes et faisait plus de cas de la grâce que de la beauté. Quant aux qualités d’esprit, il disait que, quand il en avait besoin, il les trouvait chez les hommes, et que le seul esprit qu’il demandât à la femme était « l’esprit de corps ». Noémi n’y contredisait point : elle répondait au portrait. — Annette n’y répondait point. Grande et forte, d’une beauté lourde, au repos, lorsque rien ne l’animait, et (quand elle ne le voulait pas) sans grâce, Junon-génisse qui somnole dans un pré, — Noémi la jugea rassurante ; et le fait qu’Annette se montrât glaciale avec Philippe lui prêta des attraits. De son côté, Annette, très sensible au joli chez les femmes, et portée à aimer ce qui ne lui ressemblait pas, fut séduite par Noémi ; en causant avec elle, elle montra qu’elle avait aussi, quand il lui plaisait, un sourire enchanteur. Philippe n’en perdit rien ; et son feu naissant se prit pour l’Annette aux deux masques, dont l’un n’était pas pour lui… (N’était-il pas pour lui ?… L’amour que l’on repousse a de si savantes malices, pour rentrer dans la place d’où on l’a expulsé !…) Dans le même temps qu’Annette interdisait à Philippe de scruter sa pensée et se retranchait derrière la plus ingrate de ses apparences, elle n’était pas fâchée qu’il vît, par-dessus le mur, son visage le plus captivant… Oui, il avait bien vu. De l’autre coin du salon, exposant à ses hôtes une récente expérience, il observait sa femme, qui travaillait pour lui. Annette et Noémi se prodiguaient toutes les câlineries, dont Noémi n’était jamais à court,