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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/270

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qu’elle les appelait, en riant, pour se donner le change), qui lui faisaient passer la visite d’inspection. Elle se demandait : « Voit-il ?… » Il voyait ; mais il ne le montrait pas. L’art chez Noémi lui semblait une partie de la nature ; et pourvu que l’effet lui plût, tout allait bien. Mais gare au jour où l’effet serait manqué !… Elle ne pouvait pas deux nuits dormir sur ses lauriers. Elle devait les gagner à nouveau, chaque demain. Et il lui était interdit de se montrer soucieuse. Pour plaire au maître, il fallait toujours paraître gaie, jeune, rayonnante. C’était parfois accablant ! À des moments de lassitude, quand elle savait n’être pas vue, elle s’affalait dans le creux d’un divan, un pli dur entre les yeux, un sourire crispé, saignant de ses lèvres carminées… Mais l’accès de faiblesse ne durait jamais plus d’une minute ou deux. Il fallait repartir. Et elle repartait. Jeune, gaie, rayonnante… pourquoi pas ? Elle l’était. Elle l’avait. Elle ne le lâcherait pas… Et puis, contre un tyran, dont on ne peut se passer, et qui abuse, il y a des vengeances… Suffit ! Elle a ses secrets… Nous en reparlerons tout à l’heure, s’il lui plaît… Pour l’instant, elle rit, pas seulement des dents, elle est satisfaite, d’elle et de lui, elle est sûre, elle le tient ! — Et naturellement, c’est l’heure où il lui échappe… En vain, tout son talent ! Toute cette peine, en vain ! Toujours un moment vient où l’attention se relâche. Argus même a dormi. Et l’animal en cage, le cœur de l’amant chambré, reprend sa liberté.

Par une de ces aberrations, dont la nature est coutumière — (la bonne entremetteuse y trouve son avantage ) — Noémi, pour une fois, vit sans défiance une femme. Et cette femme fut Annette.

Elle vivait sur la trompeuse assurance que Philippe abhorrait les femmes intellectuelles. Annette était la dernière qui l’aurait inquiétée. D’après le portrait physique de ses rivales passées et d’après le sien propre, Noémi s’était fait une image de celle qui pourrait lui