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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/41

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de s’attacher à ceux-là, elle était prudente, pas très franche, faible, aimant à plaire, ne cherchant rien tant qu’à ne se brouiller avec personne et à tout ménager. La conduite d’Annette ne l’avait, pour son compte, aucunement troublée. Son curieux nez pointu, à l’affût, s’amusait du scandale. L’aventure, qu’elle jugeait absurde, l’eût seulement divertie, si, du point de vue mondain, ce ne l’eût embarrassée. Quand Annette lui écrivit qu’elle était de retour, Lucile avait pensé :

— Quelle tuile ! Qu’est-ce que je vais lui répondre ? Elle ne voulait pas blesser Annette. Elle ne voulait pas non plus risquer de se faire mal juger. Faute de trouver la réponse, elle la remit de journée en journée. Elle se proposait de revoir Annette, mais plus tard — (ce n’était pas pressé !) — sans que le monde le sût. Cela n’empêchait pas de dauber sur Annette et de prendre avec le monde des airs scandalisés…

Mais voici que la brusque apparition d’Annette la mettait — ( « C’est trop fort ! »…) — dans l’obligation, sur-le-champ, de choisir ! Lucile en voulut beaucoup plus à Annette de lui jouer ce mauvais tour que de s’être fait faire un enfant… ( « Et même deux, s’il lui plaît, mais qu’elle me fiche la paix !… » )

Une petite lueur rageuse aux yeux, vite éteinte, elle prit la main qu’Annette lui tendait, répondant au sourire par ce sourire de miel qu’Annette lui connaissait : (on ne résistait pas à sa tendre séduction). Cela ne dura guère. Les yeux en mouvement, les oreilles aux aguets, Lucile perçut instantanément l’ironie de l’assistance. Instantanément, son expression se glaça ; après quelques mots d’accueil, elle reprit avec affectation l’entretien interrompu ; et, d’un secret accord, tous se remirent à causer.

Annette, laissée en dehors de la conversation, se sentit rejetée. Mais elle ne l’accepta point. Elle connaissait la faiblesse de caractère de Lucile. Armée de son