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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/40

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ques mots de courtoisie. Mais l’autre, l’examinant de son regard curieux, la laissait parler, à peine répondait, et s’éloignait avec une froide politesse. Une autre, à qui Annette écrivait pour demander un renseignement, ne lui répondait pas. Poursuivant son enquête, elle s’adressait à une amie de sa mère, une vieille dame qu’elle respectait et qui lui témoignait des sentiments affectueux ; elle offrait d’aller la voir. En retour, lui venait une lettre embarrassée, exprimant le regret de ne pas la recevoir : on s’absentait de Paris… Ces petites blessures répétées rendaient la sensibilité inquiète. Annette avait peur d’autres affronts ; mais l’étrange était que cette peur la poussait nerveusement à les provoquer.

Ainsi en advint-il avec son amie Lucile Cordier. Les deux jeunes femmes se connaissaient depuis longtemps. Dans le monde qu’elles fréquentaient, Lucile était la préférée d’Annette ; et sans être fort intimes, elles avaient plaisir à se voir. Annette apprit par sa tante que la sœur de Lucile venait de se marier. Elle n’en avait reçu aucun avis de Lucile. Elle lui écrivit pour la féliciter. Lucile garda le silence. Annette en savait assez, pour ne pas insister. Elle insista pourtant, par un besoin singulier d’être sûre, — de souffrir.

Elle se rendit chez Lucile. Dans le salon, un bruit de voix. C’était le jour de visites. Elle se le rappela, au moment d’entrer. Trop tard pour reculer… La conversation était animée. Une douzaine de personnes, presque toutes connues d’Annette. À son apparition, les voix s’arrêtèrent net. Quelques secondes seulement. Annette, émue, mais sentant qu’elle livrait un combat, entra, le sourire aux lèvres, et, sans regarder à droite ni à gauche, elle alla à Lucile. Lucile se leva, gênée. Petite blonde, aux yeux plissés, caressants, doux et fins, minois fripé, museau de souris, les dents un peu avancées. Spirituelle, indifférente aux gens et aux idées, tout en se donnant l’air de se passionner pour celles-ci,