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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/43

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soutiens de la société y veillent ; il ne fait pas bon s’y frotter. Annette avait porté atteinte aux principes cardinaux. Le chien de garde était réveillé. Il se taisait pourtant. Il n’aboie pas dans le monde. Mais son regard parlait pour lui. Annette lut dans celui de Marie-Louise de Baudru un mépris courroucé. Ses yeux se posèrent tranquillement sur ceux de la justicière joufflue ; et, lui adressant de la tête un petit salut familier, elle la força d’y répondre. Marie-Louise, suffoquant de ne pouvoir résister à l’injonction, salua, en se vengeant par son regard le plus dur. Annette, indifférente, l’avait déjà laissée ; et ses yeux qui faisaient le tour du salon, revinrent à Lucile.

Sans aucun embarras, elle s’introduisit dans l’entretien commencé, elle coupa d’une réflexion le récit de Lucile, l’obligea à une réplique. Il fallut bien lui faire place. On ne pouvait se dispenser de l’écouter poliment, curieusement, et même non sans agrément : car elle avait de l’esprit. Mais on ne répondait pas, on était distrait, on parlait d’autre chose. La conversation s’éteignait, se rallumait par petits feux, en sautant de sujets. Annette s’entendit, dans le silence, discourant sur un ton dégagé ; et elle écoutait sa voix, comme celle d’une étrangère : en vraie femme qu’elle était, fine, sensible et fière, elle ne perdait rien des petites humiliations. Habituée dès l’enfance à lire et à manier le langage menteur des salons, elle savait déchiffrer sous le voile des inattentions voulues, des sourires équivoques, des politesses sans franchise, les intentions blessantes. Elle souffrait, mais elle riait ; et elle continuait de parler. On pensait :

— Quel aplomb, cette petite !

Lucile profita du départ d’une visiteuse pour l’accompagner à la porte et s’écarter d’Annette. Celle-ci se trouva abandonnée, dans un groupe bien décidé à l’ignorer. Renonçant à prolonger l’épreuve, elle allait se lever pour partir à son tour, quand, traversant le salon,