Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/53

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mentale, livrée à ses impressions, et volontiers leur dupe. Et une autre, qui observait et s’amusait des ressorts cachés des cœurs. Elle avait de bons yeux. Elle voyait en Marcel ! Les rôles étaient changés. Naguère, c’était lui qui lisait ses secrètes pensées. — Aujourd’hui… Aujourd’hui, était venue à Annette (depuis ?… Oui, exactement depuis sa « métamorphose »…) une lucidité des âmes et de leurs mouvements secrets, dont la nouveauté, à vrai dire intermittente, l’étonnait et la divertissait, au milieu de ses préoccupations…

Étendue sur sa chaise, la tête renversée, les bras derrière la nuque, et la bouche entr’ouverte, elle regardait le plafond ; mais du coin de ses yeux mi-clos, elle voyait Marcel parler. Elle aurait pu dire d’avance les mots qu’il allait dire, elle aurait pu jurer de ce qui allait se passer. Elle le laissait aller, avec un amusement de curiosité un petit peu sarcastique, qu’elle se reprochait…

( — Mais il faut voir et savoir, comme il a dit tout à l’heure, il faut connaître… connaître…)

Elle apprenait à connaître un ami…

( — Mais oui, je te comprends !… Une Annette tombée de l’arbre serait bonne à ramasser. Il secouait doucement l’arbre, pour achever de la détacher. Il spéculait sur le désarroi d’Annette. Et pourtant, il l’aimait…Justement, il l’aimait… Pas brillant, le frère homme !… Il fait sa voix câline. Là, voilà qu’il s’attendrit !… Et maintenant… attention !… Je parie qu’il va se pencher…)

Elle vit, quelques secondes avant, la barbe blonde de Marcel qui s’inclinait vers elle, et la bouche caressante qui allait se poser. Elle voulut lui épargner l’humiliation… Et juste, au moment précis, elle se releva, et, les mains en avant, repoussant doucement les épaules de Marcel, elle dit :

— Adieu, mon ami.

Marcel regarda ces yeux perspicaces, qui le scrutaient, une malice au fond. Il sourit. Il était déçu. Mais