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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/52

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— Ce que je faisais avant.

Marcel eut l’air sceptique.

— Quoi ! est-ce que vous croyez que je ne puis vivre comme avant ?

— Ce ne serait guère la peine !… Et puis…

Marcel avait la partie belle à rappeler la visite chez Lucile : à vouloir reprendre dans le monde sa place de naguère, Annette aurait peu de succès. Elle le savait, sans qu’on vînt le lui dire, et sa fierté blessée n’avait aucune envie de renouveler l’expérience. Mais elle s’étonnait de l’insistance de Marcel à le lui démontrer ; d’ordinaire, il était plus discret. Elle dit :

— Peu importe, d’ailleurs, maintenant que j’ai mon enfant !

— Vous ne pouvez pourtant pas réduire à lui votre existence.

— Je ne pense pas que ce soit la réduire, mais l’élargir. Je vois un monde en lui, un monde qui va grandir. Je grandirai avec lui.

Marcel, avec beaucoup de soin et non moins d’ironie, s’appliqua à lui prouver que ce monde ne pouvait suffire à une nature avide et exigeante, comme la sienne. Annette l’écoutait, les sourcils froncés, une pinçure au cœur. Mentalement, elle protestait, irritée :

— Non ! Non !

Elle n’était pourtant pas sans trouble, en se rappelant qu’une fois déjà Marcel avait bien vu. Mais pourquoi donc s’acharnait-il à l’en convaincre ? Pourquoi se donnait-il tant de peine pour lui démontrer qu’elle devait profiter de sa liberté conquise, ne pas craindre de vivre en marge de la société — (il disait : « en dehors et au-dessus des conventions bourgeoises » ) ?…

Il y avait en Annette deux ou trois Annettes, qui toujours se tenaient compagnie. D’habitude, une seule parlait ; les autres écoutaient. En ce moment, elles étaient deux qui parlaient à la fois : l’Annette passionnée, senti-