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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/58

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peut-être pas de ce qu’il cachait, mais qu’il cachait quelque chose. Car plus on cherchait à savoir ce qu’il pensait, plus il mettait de malice à ne pas le laisser savoir. Même, il s’amusait parfois à égarer les recherches ; de sa petite langue, gourde comme ses mains, qui barbotait dans les syllabes, il s’essayait déjà à mentir, pour mystifier les gens. Plaisir de prouver aux autres et à soi son importance, en se moquant de ceux qui veulent pénétrer dans sa propriété. Ce bout d’être, à peine né, avait l’instinct fondamental du mien, qui n’est pas tien, — du « J’ai du bon tabac, ta n’en auras pas ! » Il n’avait pour tout bien que des tronçons de pensées : il élevait des murailles, pour les cacher aux regards de sa mère. — Et elle, dans son imprévoyance, commune à toutes les mères, était fière qu’il sût si bien dire « Non ! », qu’il manifestât de si bonne heure sa personnalité. Elle proclamait avec orgueil :

— Il a une volonté de fer !

Elle pensait que, ce fer, elle l’avait forgé. — Mais contre qui ?

Contre elle, pour commencer : car, aux yeux de ce petit moi, elle était le non-moi, le monde extérieur : certes, un monde extérieur habitable, tiède, moelleux et laiteux, qu’on pouvait exploiter, qu’on voulait dominer. Mais extérieur à moi. Je ne le suis point. Je l’ai. — Et lui, il ne m’a point !…

Non, elle ne l’avait point ! Elle commençait à le sentir : ce Lilliputien entendait n’appartenir qu’à lui. Il avait besoin d’elle, mais elle avait besoin de lui : l’instinct du petit le lui disait. Il est probable même que cet instinct, flanqué de son égocentrisme, lui disait qu’elle avait beaucoup plus besoin de lui, et que c’était donc justice qu’il en abusât. — Et, mon Dieu, c’était vrai : elle avait beaucoup plus besoin de lui…

— Eh bien, justice ou non, abuse, petit monstre ! Tout de même, tu as beau faire, tu ne peux pas, de longtemps,