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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/59

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tu ne peux pas te passer de moi. Je te tiens. Là, je te plonge dans ton bain. Proteste, carpillon !… Il a l’air indigné, il a la bouche ouverte, comme si, dans sa dignité, ce petit personnage suffoquait de se voir manier comme un paquet… Et je te tourne, et je te retourne !… Bon Dieu ! quelle musique !… Tu seras chanteur, mon fils. Allons, pousse ton ut !… Bravo ! c’est toi qui chantes ; mais c’est moi qui te fais danser… Est-ce que ce n’est pas affreux qu’on abuse ainsi de ta faiblesse ? Oh ! la lâche, cette maman !… Pauvre mioche !… Va, tu te vengeras d’elle, lorsque tu seras grand… En attendant, proteste ! Malgré ta dignité, tiens, je t’embrasse tes petites fesses !…

Il ruait. Elle riait. Mais elle avait beau le tenir, elle ne tenait que la carapace. L’animal qui était dedans filait dans son terrier. Chaque jour, il devenait plus difficile à saisir. C’était une chasse amoureuse, une lutte passionnante. Mais une lutte, une chasse. Il fallait rester en haleine.

Les mille petits soins réguliers qu’exige un enfant remplissent les journées. Si simples, si monotones, ils ne permettent pourtant pas de songer à autre chose. Hors lui, toujours lui, l’esprit est morcelé. La plus rapide pensée est interrompue dix fois. L’enfant envahit tout ; cette petite masse de chair bloque votre horizon. Annette ne s’en plaignait pas. Elle n’avait même pas le temps de le regretter. Elle vivait dans une plénitude de fatigue occupée, qui lui fut un bien-être, d’abord, — qui devint, d’heure en heure, une obscure lassitude. Les forces s’usent, et l’âme chemine ; elle ne demeure point où nous l’avons laissée. D’un pas de somnambule, elle s’en va sur la route ; et quand elle s’éveille, elle ne sait plus son chemin. — Annette s’éveilla, un jour, avec la conscience du monceau de fatigues accumulées depuis des mois ; et une ombre indéfinissable se mêlait à la joie qui l’habitait.

Elle ne voulut l’attribuer qu’à l’épuisement physique ;