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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/69

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Annette était ruinée. Elle ne pouvait encore se représenter l’étendue de sa ruine. Mais, le premier moment d’aberration passé, lorsqu’elle examina froidement la situation, elle put se rendre cette justice qu’elle l’avait bien méritée.

Elle était capable de s’occuper d’affaires : elle avait, comme son père, la tête bonne et solide ; les chiffres ne l’intimidaient pas. Quand on vient d’une lignée de paysans et de petits bourgeois actifs et avisés, il faut le vouloir bien pour perdre son aplomb dans les questions pratiques. Mais tout souci matériel lui avait été épargné, tant que vécut son père ; et, depuis, elle traversait une longue crise, où le travail intérieur de sa vie passionnelle la tenait captivée. Dans cet état un peu anormal, qu’entretenait son oisiveté fortunée, elle éprouvait un dégoût, qui n’était pas très sain, à s’occuper de ses biens. Il faut oser le dire : car l’idéalisme de la vie intérieure, qui méprise l’argent comme un parasitisme, oublie qu’il n’en a le droit que s’il y a renoncé ; mais l’idéalisme qui pousse sur un terreau argenté et prétend s’en désintéresser, est le pire parasitisme.

Pour se décharger de l’ennui d’administrer sa fortune, elle en avait remis la gestion entière à l’excellent Me Grenu, son notaire. Vieil ami de la famille, homme considéré, d’une valeur professionnelle et d’une honorabilité reconnues, Me Grenu avait, depuis trente ans, vu passer dans son étude toutes les affaires Rivière. Il est vrai que Raoul n’abandonnait à personne le soin de les traiter sans lui. Quelque confiance qu’il eût en son tabellion, il ne