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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/77

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— Moi, je disais : Patatras ! je vais en refaire une autre !…

— Dis tout de suite que tu secouais la table !…

— Eh ! je n’en jurerais pas ! fît Annette.

Sylvie l’appela :

— Anarchiste !

— Tiers ! dit Annette, tu ne l’es donc pas ?

Sylvie ne l’était pas. Elle entendait bien se fiche, s’il lui plaisait, de l’ordre et de l’autorité ; mais il lui fallait un ordre et une autorité. Quand ce ne serait que pour les autres ! Pour elle aussi, d’ailleurs : il n’y a de plaisir à se révolter que s’il y a une autorité. Et quant à l’ordre, Sylvie en était pourvue ; elle ne chicanait l’ordre établi que parce qu’il n’était pas le sien. Mais qu’il fût établi, elle ne le lui reprochait pas. Un ordre doit être établi. Depuis qu’elle était, elle aussi, établie, patronne, et dirigeant pour son compte ses affaires, elle était pour l’ordre stable. Annette en fit la découverte, avec surprise. — Ce ne fut pas la seule. On ne connaît bien un autre que quand on le voit dans l’action journalière, qui bande les ressorts et montre au naturel ses mouvements et ses gestes. Annette n’avait vu Sylvie qu’à ses périodes oisives de détente flâneuse. Qui peut juger d’une chatte alanguie sur un coussin moelleux ? Il faut la voir en chasse, les reins cambrés en arc, et le feu vert de ses yeux.

Annette vit Sylvie sur son terrain, le lopin qu’elle s’était taillé dans la jungle parisienne. La petite patronne avait pris le métier au sérieux, et elle ne le cédait à personne dans l’art de gérer ses affaires. Annette put l’observer à loisir, et de près : car, pendant les premières semaines qui suivirent l’emménagement, elle prenait ses repas chez Sylvie ; il avait été convenu qu’on ferait ménage ensemble, jusqu’à ce que l’installation fût tout à fait terminée. Annette, de son côté, cherchait à se rendre utile, en participant à certains travaux de l’atelier. Elle voyait donc Sylvie, à toutes les heures du jour, soit