Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/93

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Annexe revenait, le soir. Elle était affamée. Tout le jour, elle avait marché dans un désert sans eau, un monde sans amour. Tout le jour, elle avait marché, les yeux tournés vers la source que, le soir, elle retrouverait. Elle l’entendait chanter ; par avance, elle y baignait ses lèvres ; et il aurait pu se faire qu’un passant dans la rue s’attribuât le sourire que cette belle femme pressée adressait à l’image de son enfant. Comme le cheval qui sent l’avoine, son pas s’accélérait, à mesure qu’elle se rapprochait de la maison de Sylvie ; et lorsque enfin elle rentrait, riant d’amour avide, si harassée qu’elle fût, elle remontait en courant l’escalier. La porte s’ouvrait ; elle faisait irruption et fondait sur le petit ; elle l’enlevait dans ses serres, l’étreignait, le becquetait furieusement sur un œil, sur le nez, sous le nez, n’importe où ça se trouvait, tout ce qu’elle attrapait ; et sa joie impétueuse s’exprimait à grand bruit. Lui, qui était en train de jouer, ou, confortablement installé sur un pouf rembourré, s’amusait gravement à faire des raies avec la craie, ou bien à emmêler des fils de toutes les couleurs, il n’était pas content de cette invasion. Cette grande femme brusque, qui entrait sans crier gare, qui l’empoignait, le tripotait, lui braillait dans l’oreille, qui l’étouffait de baisers,… il n’aimait pas cela ! Qu’on disposât de lui sans sa permission, non, c’était indignant ! Il ne l’admettait point. Il se débattait, maussade ; mais elle n’en était que plus enragée à le secouer, à le bicher ; et de rire, et de crier !… Tout lui déplaisait en elle : ce manque d’égards, ce bruit, cette violence… Il comprenait très