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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/95

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C’était tant pis pour elle. — Donc, il condescendait tout juste à subir les effusions d’Annette, à répondre à la pluie de folles questions amoureuses quelques oui, non, bonjour, bonsoir, ennuyés et distants ; et puis, fuyant l’averse et s’essuyant la joue, il retournait à ses jeux ou aux genoux de Sylvie.

Annexe ne pouvait pas ne pas voir que Marc lui préférait Sylvie. Sylvie le voyait mieux encore. Elles en riaient toutes deux ; toutes deux semblaient n’y pas attacher une ombre d’importance. Mais dans le fond, Sylvie était flattée, et Annette jalouse. Elles se gardaient bien de se l’avouer. Bonne fille, Sylvie obligeait l’enfant mal gracieux à embrasser Annette. Annette avait peu de joie de ces embrassements obligés ; Sylvie en avait davantage. Elle ne se disait pas qu’elle volait le jardin du pauvre, et qu’après, elle en offrait royalement quelques fruits. Mais ce qu’on ne dit point, afin de ne pas se charger de scrupules fâcheux, on ne le savoure que mieux, à bouche close. Et sans malice aucune, Sylvie goûtait plus de plaisir à se faire cajoler par le petit et pensait davantage à afficher son pouvoir sur lui, quand Annette était là. Annette, affectant de plaisanter, disait, d’un ton dégagé :

— Loin des yeux, loin du cœur.

Mais son cœur ne le prenait pas en plaisantant. Il manquait d’ironie. Annette n’avait d’humour que dans son intelligence. Elle aimait comme une bête, bêtement. C’est pénible d’être femme parmi les femmes, et de devoir se cacher. On ferait rire de soi, en montrant son pauvre cœur affamé. Annette, devant les autres, jouait l’amour blasé, causait de sa journée, des gens qu’elle avait vus, de ce qu’elle avait appris, dit, ou fait, — bref, de tout ce qui lui était indifférent, (oh ! tellement !…) Mais la nuit, rentrée chez elle, dans son appartement, seule avec son enfant, elle pouvait s’en donner tout son soûl, du tourment ! De la joie, aussi, de la passion, par