Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/96

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torrents. Plus de précautions à prendre. Personne de qui se cacher. Elle l’avait, à elle seule, son fils, elle le tenait tout entier. Elle en abusait un peu ; elle le fatiguait de sa tendresse folle. Comme ici, loin de Sylvie, il n’était pas le plus fort, le petit politique ne manifestait pas son dépit : jusqu’au lendemain matin, il devait ménager cette mère extravagante. Il usait de tactique : il feignait de tomber de sommeil. Il n’avait pas beaucoup à feindre ; le sommeil venait vite, après les journées remplies. Tout de même il n’était pas encore venu, quand, aux bras de sa mère, livré comme un agneau, les yeux clos, Marc semblait anéanti. Il fallait bien qu’Annette, interrompant son ramage, le portât au lit ; et le petit farceur, dans le demi-sommeil, d’où de degré en degré, (ou plutôt, sur la rampe), il se laissait glisser jusqu’au bas de l’escalier, riait sous cape de voir entre ses cils la crédule maman qui, muette, l’adorait. Il avait le sentiment de sa supériorité, il lui en savait gré ; et même il arrivait que, dans un élan, il jetât ses petits bras autour du cou de l’agenouillée. Par une telle surprise, Annette était payée de ses peines. Mais l’enfant, économe, ne la renouvelait pas souvent. Et Annette devait s’endormir sur sa faim. Ce n’était pas avant de s’être retournée dans son lit, bien des fois, écoutant respirer le petit et remuant ses pensées enfiévrées… Il ne l’avait pas bien embrassée… Elle se disait :

— Il ne m’aime pas…

Son cœur se serrait. Mais elle se reprenait aussitôt :

— Qu’est-ce que je vais inventer ?…

Il fallait refouler sur-le-champ cette idée. Comment est-ce qu’on vivrait, avec ? Non, ce n’était pas vrai… Bon petit, qu’elle accusait !… Elle se hâtait de rechercher, parmi ses souvenirs, ce qu’elle avait de meilleur, les gentillesses de l’enfant et ses câlineries. À des images évoquées, elle l’eût bien arraché de son lit pour l’embrasser… Mais chut ! ne le réveillons pas !… Ce délicieux