Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Eh bien, cours, mon ami ! Je m’en vais te promener. La course te fera oublier le gibier…

Ils étaient tous les deux dans la chambre de Sylvie, assis autour de la table. Le soir. Il avait fini sa tâche. Ils prolongeaient la veillée. Elle, ses doigts toujours en mouvement, modelait la courbe et les bosses d’un casque martial et galant. Elle ne le regardait pas, elle se savait regardée…

— Regarde ! Je suis bonne à voir… Mais je suis encore meilleure à écouter…

Les yeux du petit pouvaient la manger, à leur aise, de la pointe du pied à la pointe de l’oreille (elle l’avait un peu longue et effilée, comme d’une chèvre-femme). Mais elle ne laissait pas à la pensée le silence et le temps de mûrir ses fruits défendus. Sa langue n’arrêtait point ; elle le tenait et menait par une chaîne dorée. Elle se gardait de questionner Marc, elle ne cherchait à rien savoir de ses secrets : le moyen qu’il les dît était de ne point les demander. C’était elle qui se mettait à dévider, au hasard, ses aventures passées, l’histoire humoristique de quelqu’une de ses folles — et sages — équipées, où elle avait perdu quelquefois sa vertu, mais jamais la boussole. La langue malicieuse, tout en mouillant le fil qu’elle cassait entre ses dents, attrapait au passage les silhouettes des gens, leurs gestes, leurs ridicules, — sans épargner les siens. Elle