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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/195

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Vois-tu, un de mes bons amis, joli garçon, trois galons, croix de guerre, — (il vient d’être tué) — m’a dit : « Il faut que nous tuions encore un million d’Allemands. »

Annette fixait Sylvie dans les yeux. Parlait-elle sérieusement ? — Mais oui, elle était sérieuse… Oh ! pas profondément ! Elle n’y mettait point de passion. Elle ne leur en voulait pas, à ceux qu’elle tuait, d’avance… Mais puisqu’il le faut !…

— Tu sais, lui dit Annette, que pour ton million nous devons alors compter au moins un demi-million des nôtres…

— Ah ! que veux-tu, ma bonne ! Il faut se faire une raison !…

Une raison ! Ce n’était point ce qui leur manquait ! Ils en avaient plus d’une douzaine…

La vie mondaine avait repris. Les tea-rooms étaient remplis, et les belles clientes affluaient de nouveau chez Sylvie. Ce n’était plus la tension des années passées, ni ce viril maintien des premiers temps d’épreuves, ni ces réactions morbides de la haine ou du plaisir, qui avaient secoué les sens, par accès de fièvre intermittents. C’était beaucoup plus effrayant. La nature s’habituait. Elle s’était adaptée aux conditions nouvelles, avec cette plasticité ignoble et merveilleuse qui a permis à l’homme de se couler comme un ver