Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/289

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qu’elle avait pris tacitement avec les deux amis. Elle était comme une fourmi, qui cherche à retirer une paille enserrée sous un bloc. À supposer qu’elle réussisse à la dégager, ce bloc, suspendu sur elle, risque de l’écraser, avec sa prise. Mais ce risque n’a jamais arrêté une fourmi. Et peut-être qu’il était pour Annette un stimulant de plus. Pour une partie de soi : celle qui ne supporte point la menace brutale. — Pour l’autre moi, plus faible, c’étaient des minutes d’effroi :

— Mon Dieu, qu’ai-je accepté ? Ne puis-je m’en dédire, y renoncer, m’enfuir ? Qui m’y contraint ?

— Moi. Je dois.

Elle était seule, en face de cette montagne de l’État. Elle affrontait le visage menaçant de la patrie. Elle se sentait sous le pied des grandes Déesses irritées. Mais si elles pouvaient l’anéantir, elles ne pouvaient la soumettre. Elle ne croyait plus en elles. À partir du moment où elle avait retrouvé, foulées par les colosses inhumains, les affections primitives et sacrées : l’amitié et l’amour, — tout le reste avait disparu. Le reste était la force. Contre la force, l’âme !

Folie ? — Soit ! Mais à ce compte, folie est aussi l’âme. Par cette folie je vis, je marche sur l’abîme, comme l’apôtre sur les eaux.