Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tant pis pour ce qui fut et pour ce qui viendra ! Le présent a grand « gousier ». Il prend tout, il veut tout, il est tout. — Il est rien. C’est le gouffre.

Marc y roule. Fou, qui s’inquiète de l’avenir ! L’avenir, il n’y en aura peut-être pas. Si tu comptes sur lui, tu seras volé. Prends ! Sers-toi sur-le-champ, n’attends pas qu’on te serve ! Tu as des dents, des mains, des yeux, un corps merveilleux, qui est plein d’yeux, comme la queue d’un paon, — qui prend la vie par tous les pores. Prends et prends !… Aime et connais, jouis et hais !…

Il courait dans Paris, manquait ses classes, fiévreux, curieux, désorbité. La guerre, la femme, l’ennemi, le désir, — Protée de flamme aux mille langues, que de boissons enivrantes à laper — jusqu’à l’écœurement ! Que de sujets pour s’exalter — jusqu’à l’heure de retomber accablé, usé, pour la vie !… Il était bien difficile de surveiller le poulain lâché. Chacun était en proie à ses pensées. Annette fut longtemps avant de se méfier. Dans son malaise qui grandissait, elle ne pouvait rester, les mains oisives. Elle n’avait plus de leçons pour s’occuper. Austèrement, les familles bourgeoises économisaient sur leur budget, en supprimant le gagne-pain des institutrices, — ces inutiles ! Annette prit, quelques semaines, un service de nuit, en suppléance, dans une ambulance de Paris.