Chevalier était le seul dont le tempérament s’adaptât à la mesure de ce souffle large et lent de paysan. Mais il n’était pas, par malheur, d’une pâte morale assez ferme pour recevoir, sans la déformer, l’empreinte du large pouce d’Alain. Il s’y cherchait sophistiquement un essai de justification pour philosopher en paix et confort. — Simon Bouchard, qui, physiquement, par sa rudesse d’énergie, était plus près de l’homme Alain, aimait l’homme plus que l’idée ; et sa brutale loyauté sans nuances l’abandonna vite, pour se jeter sur n’importe quelle doctrine qui lui fournit l’occasion d’agir. Agir, comme il l’entendait, à coups de poing. La Révolution l’attirait. Mais en ces six premiers mois décisifs qui suivirent l’armistice, elle n’arrivait point, en Occident, à prendre forme et conscience ; les partis, inorganisés, piétinaient sur place, comme un aveugle qui bat du bâton contre les murs. On ne savait rien d’exact encore sur la Russie, bloquée par les troupes de Clemenceau : ce ne fut que par elles et leur révolte, l’avril suivant, que la vérité commença de se faire jour sur l’étranglement avorté d’un peuple géant qui brise ses chaînes, par les hommes d’État renégats de la Révolution française.
Parmi toutes les déceptions de la jeunesse en ces premiers mois de la Victoire — de la Défaite, — la plus accablante (ils ne le dirent point, il était trop pénible de l’avouer) fut le retour des combattants, leurs frères aînés. Ils attendaient de leur expérience — la seule qu’ils ne missent point en doute, car elle avait été achetée de leur sang — des leçons de vivre. Devant eux seuls ils se sentaient modestes et se taisaient. Ils attendaient, anxieux, la parole qui sortirait de la bouche des aînés. — Mais les aînés ne dirent rien. Ils se taisaient comme eux. Ils se dérobaient aux questions. Ils parlaient de la vie retrouvée. Ils avaient hâte de rentrer dans le réseau des chaînes de l’habitude quotidienne, d’où ces adolescents brûlaient de se