délivrer. Le pire fut lorsque certains d’entre eux, après quelques jours ou quelques semaines, se furent réaccordés au ton des conventions imposées par l’opinion menteuse et couarde de l’arrière, et, pour mieux s’y sentir réemboîtés, hâblèrent comme elle. À peine si, entre tel et tel camarades du front, un regard échangé décelait une secrète franc-maçonnerie de pensée. Mais à ces jeunes frères qui, restés au foyer, guettaient, imploraient le mot mystérieux, ils le refusaient. (Hélas ! avaient-ils un mot à dire ? Leur langue s’était déshabituée de parler. À quoi bon ?…) Ce fut la grande Trahison. On eût dit qu’ils se vengeaient de celle de leurs pères et frères de l’arrière, qui les avaient envoyés et laissés agoniser pour un mensonge.
Les Cinq — les Sept (en comprenant dans leur orbe, ainsi que notre système solaire, les deux planètes femelles) — en firent plus d’une expérience, dont ils gardèrent la bouche amère. Un soir, ils avaient amené chez Ruche un de leurs aînés, qui avait été l’ami d’un frère de Bouchard tué aux Éparges : il était une gloire de leur lycée, dont il sortait, couronné de cette attente bourdonnante, (bien décevante), que font naître dans un cercle de maîtres et de camarades les succès universitaires, — quand la guerre l’avait pris et gardé, du premier jour au dernier, à part trois stages de repos forcé et de radoubages après blessures, dans les hôpitaux. Hector Lassus avait gagné tous les chevrons du héros, de qui l’on escompte qu’il soit à ses cadets un viril et sûr conseiller. Bouchard avait communiqué à l’équipe des lettres écrites à son frère ou par son frère, dans les deux premières années de la guerre, où les deux amis proclamaient haut et dur leur volonté, au retour, de balayer la maison. Et puis, l’un s’était tu : le mort ; et le survivant ne parlait plus. Il n’avait pas trop changé physiquement : l’air plus mâle, plus étoffé, la peau rougie comme une poterie, en apparence plus robuste qu’avant : (il