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LES PRÉCURSEURS

épreuves, cette pensée les rapproche beaucoup plus des autres malheureux dans les tranchées ennemies, que du reste du monde qui est là-bas, par derrière. Contre ceux de barrière : « touristes des tranchées », journalistes « exploiteurs du malheur public », intellectuels guerriers, ils s’accordent en un mépris sans violence, mais sans bornes. Ils ont « la révélation de la grande réalité : une différence qui se dessine entre les êtres, une différence bien plus profonde et avec des fossés plus infranchissables que celle des races : la division nette, tranchée, et vraiment irrémissible, qu’il y a parmi la foule d’un pays, entre ceux qui profitent et ceux qui peinent, ceux à qui on a demandé de tout sacrifier, tout, qui apportent jusqu’au bout leur nombre, leur force et leur martyre, et sur lesquels marchent, avancent, sourient et réussissent les autres. »

— « Ah ! fait amèrement l’un d’eux, devant cette révélation, ça ne donne pas envie de mourir ! »

Mais il n’en meurt pas moins bravement, humblement, comme les autres.

Le point culminant de l’œuvre est le dernier chapitre : l’Aube. C’est comme un épilogue, dont la pensée rejoint celle du prologue, la Vision, et l’élargit, ainsi qu’en une symphonie le thème annoncé du début prend sa forme complète dans la conclusion.

La Vision nous dépeint l’arrivée de la déclaration de guerre, dans un sanatorium de Savoie, en face du Mont-Blanc. Et là, ces malades de toutes nations, « détachés des choses et presque de la vie, aussi éloignés du reste du genre humain que s’ils étaient déjà la postérité, regardent au loin devant eux, vers le pays incompréhensible des vivants et des fous ». Ils voient le déluge d’en bas, les peuples naufragés qui se cram-