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LES PRÉCURSEURS

son visage hideux de Méduse mutilée. Les deux premières sont consacrées à la douleur morale. L’homme qui est au milieu — Le Vainqueur — ne voit ni l’une ni l’autre : sa gloire s’assied dessus ; il trouve la vie bonne et la guerre meilleure. Du commencement à la fin du livre, la révolte gronde. Elle éclate, à la dernière page, par un meurtre : un soldat qui revient du front tue un profiteur de la guerre.

Je donne l’analyse des six nouvelles.

Le Départ (Der Abmarsch) a pour scène le jardin d’hôpital d’une paisible petite ville de province autrichienne à 50 kilomètres du front. Un soir de fin d’automne. La retraite vient de sonner. Tout est calme. Au loin, grondent les canons, comme des dogues monstrueux enchaînés, au fond de la terre. De jeunes officiers blessés jouissent de la quiétude de la soirée. Trois d’entre eux causent gaiement avec deux dames. Le quatrième, lieutenant du landsturm, dans le civil compositeur de musique, est prostré, à l’écart. Il a un grave ébranlement nerveux, et rien ne peut le tirer de son accablement, même pas l’arrivée de sa jeune et jolie femme ; quand elle lui parle, il se recroqueville ; et il s’écarte quand elle veut le toucher. La pauvre petite souffre et ne comprend pas son hostilité. L’autre femme fait tous les frais de la conversation. C’est une Frau Major, qui passe ses journées à l’hôpital et qui y a contracté « un étrange sang-froid babillard ». Elle est blasée d’horreur ; son éternelle curiosité a quelque chose d’un peu cruel et parfois d’hystérique. Les hommes discutent entre eux : « qu’est-ce qui est le plus beau, à la guerre ? » Pour l’un, c’est de se retrouver, comme ce soir, dans la compagnie des femmes.

« — … Rester cinq mois à ne voir que des hommes, et puis entendre une chère voix de femme !… Voilà le plus beau ! Ça vaut déjà la peine d’aller en guerre… »