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LES PRÉCURSEURS

Un autre réplique que le plus beau, c’est de prendre un bain, d’avoir un pansement frais, un lit blanc, et de savoir qu’on pourra se reposer quelques semaines. Le troisième dit :

« — Le plus beau, c’est le silence. Quand on a été là-haut, dans les montagnes, où chaque coup est répercuté cinq fois, et qu’ensuite tout se tait, aucun hurlement, aucun tonnerre, rien qu’un splendide silence, qu’on peut écouter comme un morceau de musique… Les premières nuits, j’ai veillé, assis sur mon lit, les oreilles tendues pour happer ce silence, comme pour une mélodie lointaine qu’on veut attraper. Je crois que j’en aurais hurlé, si beau c’était d’entendre qu’on n’entend plus rien !… »

Les trois jeunes gens plaisantent, et ils rient de bonheur. Chacun est enivré de la paix de cette ville endormie et du jardin d’automne. Chacun ne veut rien en perdre, sans penser à ce qui suivra, « les yeux fermés, comme un enfant qui doit aller ensuite dans la chambre noire ».

Mais voici que la Frau Major demande, (et son souffle devient plus précipité) :

« — Et maintenant, qu’est-ce qui est le plus affreux, à la guerre ? »

Les jeunes gens font la grimace, « Cette question ne rentrait pas dans leur programme… » À ce moment, une voix suraigüe crie dans l’ombre :

« — Affreux ? Il n’y a d’affreux que le départ… On s’en va… Et qu’on soit laissé, c’est affreux ! »

Silence glacial. La Frau Major décampe, par peur d’entendre la suite ; et, sous le prétexte qu’il faut rentrer en ville et que c’est l’heure du dernier tramway, elle entraîne la pauvre petite femme angoissée, que le mot de son mari pénètre comme un obscur reproche. Les officiers restent seuls ; l’un d’eux, pour changer le