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LES PRÉCURSEURS

essaie-t-il de dormir. La voix de Jérémie remplit sa pensée et le silence de la nuit. Il le fait venir, il lui parie avec calme des propositions de Nabukadnézar, comme si elles n’étaient pas encore repoussées ; il cherche à obtenir de lui son assentiment au parti qu’il a choisi ; il voudrait ainsi apaiser sa conscience. Mais le prophète lit dans ses plus secrètes pensées. Il gémit sur Jérusalem. Bientôt la frénésie s’empare de lui, en décrivant la destruction ; il prédit à Zedekia son châtiment : le roi aura les yeux crevés, après avoir vu tuer ses trois fils. Zedekia, furieux, puis atterré, se jette sur son lit, en pleurant et criant : « Pitié ! » Jérémie ne s’interrompt pas, jusqu’à la malédiction finale. Alors, il s’éveille de son extase farouche, brisé comme sa victime. Zedekia, sans colère, sans révolte, reconnaît maintenant la puissance du prophète : il croit en lui, il croit en ses prédictions affreuses :

« Jérémie, je n’ai pas voulu la guerre. J’ai dû la déclarer, mais j’aimais la paix. Et je t’aimais, parce que tu la célébrais. Ce n’est pas d’un cœur léger que j’ai pris les armes… J’ai beaucoup souffert, sois-en témoin, quand le temps sera venu. Et sois auprès de moi, si ta parole s’accomplit ».

Jérémie : — « Je serai auprès de toi, mon frère Zedekia ».

Il s’en va. Le roi le rappelle :

— « La mort est sur moi, et je te vois pour la dernière fois. Tu m’as maudit, Jérémie. Maintenant, bénis moi, avant que nous nous séparions ».

Jérémie : — « Le Seigneur te bénisse et te protège sur tous tes chemins ! Qu’Il fasse luire sur toi son visage et te donne la paix ! »

Zedekia (comme en un rêve) : — « Et qu’Il nous donne la paix ! »