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LES PRÉCURSEURS

Scène VII : « La détresse suprême »

C’est le matin suivant, sur la place du Temple. La foule affamée réclame du pain, assiège le palais, menace Nachum l’accapareur. Abimelech, pour le dégager, lance ses soldats contre le peuple. Au milieu de l’émeute, une voix crie que les ennemis ont forcé une des portes. Le peuple pousse des cris d’épouvante, maudit le roi, les prêtres, les prophètes. Il se souvient de Jérémie, qui seul a prédit la vérité ; il n’espère plus qu’en lui ; il le délivre de sa prison, il le porte en triomphe, en l’appelant : « Saint ! Maître ! Samuel ! Élie !… Sauve-nous ! » — Jérémie, sombre, ne comprend pas d’abord. Quand il entend accuser le roi d’avoir vendu son peuple, il dit : « Ce n’est pas vrai ! »

— « Ils nous ont sacrifiés, dit la foule. Nous voulions la paix. »

— « Trop tard !… Pourquoi rejetez-vous votre faute sur le roi ? Vous avez voulu la guerre. »

— « Non, crie la foule. Pas moi !… Non !… Pas moi !… C’est le roi… Pas moi !… Aucun de nous ! »

— « Vous l’avez tous voulue, tous, tous ! Vos cœurs sont changeants… Ceux qui crient maintenant : la paix ! je les ai entendus hurler pour la guerre… Malheur à toi, peuple ! Tu flottes à tous les vents. Vous avez forniqué avec la guerre. Maintenant, portez son fruit ! Vous avez joué avec l’épée. Maintenant, goûtez-en le tranchant ! »

La foule, épeurée, réclame du prophète un miracle. Jérémie refuse. Il répète : « Courbez-vous !… Que tombe Jérusalem, si Dieu le veut, que tombe le Temple, que soit exterminé Israël et son nom éteint !… Courbez-vous ! »

Le peuple l’appelle traître. Jérémie est pris d’une extase nouvelle. Dans des transports d’amour et de foi qui appellent la souffrance infligée par la main aimée,