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LES PRÉCURSEURS

du soleil — jaillit en gerbes diaprées, — que l’œil harmonieux de l’artiste a liées ;

Telle qu’un grand oiseau — qui plane au centre du ciel, — et couve sous ses ailes — la plaine, — ton vol embrasse, — par delà ce qui est, ce qui fut et sera.

Tu es sœur de la joie et sœur de la douleur, — sœur cadette et plus sage ; — tu les tiens par la main. — Ainsi, de deux rivières que lie un clair canal, — où le ciel se reflète, entre la double haie de ses blancs peupliers.

Tu es la divine messagère, — qui va et vient, comme l’aronde, — de l’une rive à l’autre, — les unissant, — aux uns disant : — « Ne pleurez plus, la joie revient », — aux autres : — « Ne soyez pas trop vains, — le bonheur s’en va comme il vient. »

Tes beaux bras maternels étreignent tendrement — tes enfants ennemis, — et tu souris, les regardant — mordre ton sein gonflé de lait.

Tu joins les mains, les cœurs, — qui se fuient en se cherchant, — et tu mets sous le joug les taureaux indociles, — afin qu’au lieu d’user — en combats la fureur qui fait fumer leurs flancs, — tu l’emploies à tracer dans le ventre des champs — le long sillon profond où coule la semence.

Tu es la compagne fidèle — qui accueille au retour les lutteurs fatigués. — Vainqueurs, vaincus, ils sont égaux dans ton amour. — Car le prix du combat — n’est pas un lambeau de terre, — qu’un jour la graisse du vainqueur — nourrira, mélangée à celle de l’adversaire. — Il est de s’être fait l’instrument du destin, — et de n’avoir pas fléchi sous sa main.

Ô ma paix qui souris, tes doux yeux pleins de larmes, — arc-en-ciel de l’été, soirée ensoleillée, — qui, de tes doigts dorés, — caresses les champs mouillés, — panses les fruits tombés, — et guéris les blessures — des arbres que le vent et la grêle ont meurtris ;